Accompagner un poète

Lorsque l’on accompagne un poète ou lecteur, quels sont les approches qui protègent l’intelligibilité du texte tout en permettant d’ajouter à l’émotion?  Un exemple tiré du dernier Chapeau Noir de janvier me vient à l’esprit.  Commencez par écouter le premier poème.

 

Dans le premier texte, la musique est comme un commentateur qui attend de voir ce qui se passe avant de commenter.  Elle cherche les respirations et les silences pour s’exprimer.  Il faut toutefois conserver une idée stylistique cohérente afin que l’ensemble soit perçu comme un tout.  Vous noterez qu’après avoir utilisé des idées mélodiques – et oui, il y a une fausse note – je commence à installer un accord.  L’accord est préparé par la tonalité induite par les idées mélodiques.  Dans ce cas-ci, le poème était plus court que ce que je pouvais anticiper.  L’anticipation d’ailleurs est une arme à double-tranchant, la nouvelle idée harmonique n’a pas eu le temps de s’installer complètement, j’aurais pu demeurer calmement dans la simplicité mélodique et être plus dans l’écoute que dans l’anticipation.

Lorsque cette technique est utilisés – le commentaire – le poète peut idéalement en prendre conscience et manifester sa sympathie avec le commentaire en accordant parfois plus de silences et de respirations à des moments critiques.  Dans le meilleurs des cas, il y a même des silences complets – musique et texte.  Les silences stratégioques sont parmi les techniques les plus efficaces pour capter l’attention et diriger l’attention tel une lampe de poche sur un objet.

Écoutons maintenant le deucième texte.  Le texte commence par « La boîte à bêtise est allumée » – hop-là, l’idée d’une machine infernale s’impose.  Des intervalles dissonants qui s’articulent mécaniquement avec un rythme répétitif.  Tant que le volume est bien équilibré, le fait de jouer en même temps – même des dissonances – deviendra comme un fond que l’auditeur oubliera à caue de la prévisibilité de la répétition.  Notez que la machine s’arrête ici et là et que l’effet de focus fonctionne.  Puis, le poète (Christian L. Ducharme-Gauthier) prend une autre voix, il y a plusieurs personnages.  J’utilise alors mon looper Roland RC-50 pour échantillonner la section répétitive et pouvoir moi aussi y aller d’un deuxième personnage qui prend la forme de guitare débridée.  Puis des contres-rythmes et une mélodie plus continue s’ajoute.  La musique devient une forme qui évolue avec le poème, elle raconte une histoire.  La finale se construit avec une mélodie ascendante dont la personnalité est de plus en plus affirmée.  Les dissonances en escalade apportent un point dramatique final.

Quelques derniers mots sur les finales, la mémoire a tendance à se rappeler du début et de la fin.  Sentir la fin venir est important et idéalement il y a un reserrement de l’attention mutuelle qui vise ensemble les adaptations de débit pour produire une finale parfaitement synchronisée.  Dans ce cas-ci, la musique avait déjà acquis sa propre logique diffilement altérable, la fin n’est pas parfaitement synchrone mais les deux fins sont logiques entre elles.  Comme en amour toutefois, on ne doit pas définir la qulité d’une relation uniquement par le fait de jouir ensemble au même moment – il y a tout le reste…