La valeur du silence et la question du volume de la musique

La valeur du silence et la question du volume de la musique

Lorsque la musique interagit avec d’autres trames (poésie, théatre, cinéma), elle doit trouver son espace et son volume de façon naturelle. Dans l’extrait qui suit, nous avons eu la chance de jouer
sans système de son, dans une salle avec une bonne acoustique et un silence total. La captation par Jocelyne Langlois avec une caméra digitale démontre bien le niveau de silence puisqu’on entend clairement les crissements des runnings d’Éric Roger. Dans l’extrait qui suit, je peux partager avec vous comment mes oreilles entendent l’équilibre entre la musique et la lecture. Notez l’utilisation des silences par Éric et moi-même et jugez par vous-même qu’il y a autant de présence dans l’absence de notes qu’en leur présence…

 

Voici une autre démonstration de ce principe réalisée à la Messe Poétique de Juin 2016. J’ai choisi un style atonal pour accompagner Claudius le Rimailleux dans son évocation des nuances de la conscience. Chaque mot peut révéler une nouvelle perspective, chaque silence nous fait pencher au dessus du vide.

 

Merci à Yvon Jean pour la captation.

Accompagner un poète

Lorsque l’on accompagne un poète ou lecteur, quels sont les approches qui protègent l’intelligibilité du texte tout en permettant d’ajouter à l’émotion?  Un exemple tiré du dernier Chapeau Noir de janvier me vient à l’esprit.  Commencez par écouter le premier poème.

 

Dans le premier texte, la musique est comme un commentateur qui attend de voir ce qui se passe avant de commenter.  Elle cherche les respirations et les silences pour s’exprimer.  Il faut toutefois conserver une idée stylistique cohérente afin que l’ensemble soit perçu comme un tout.  Vous noterez qu’après avoir utilisé des idées mélodiques – et oui, il y a une fausse note – je commence à installer un accord.  L’accord est préparé par la tonalité induite par les idées mélodiques.  Dans ce cas-ci, le poème était plus court que ce que je pouvais anticiper.  L’anticipation d’ailleurs est une arme à double-tranchant, la nouvelle idée harmonique n’a pas eu le temps de s’installer complètement, j’aurais pu demeurer calmement dans la simplicité mélodique et être plus dans l’écoute que dans l’anticipation.

Lorsque cette technique est utilisés – le commentaire – le poète peut idéalement en prendre conscience et manifester sa sympathie avec le commentaire en accordant parfois plus de silences et de respirations à des moments critiques.  Dans le meilleurs des cas, il y a même des silences complets – musique et texte.  Les silences stratégioques sont parmi les techniques les plus efficaces pour capter l’attention et diriger l’attention tel une lampe de poche sur un objet.

Écoutons maintenant le deucième texte.  Le texte commence par « La boîte à bêtise est allumée » – hop-là, l’idée d’une machine infernale s’impose.  Des intervalles dissonants qui s’articulent mécaniquement avec un rythme répétitif.  Tant que le volume est bien équilibré, le fait de jouer en même temps – même des dissonances – deviendra comme un fond que l’auditeur oubliera à caue de la prévisibilité de la répétition.  Notez que la machine s’arrête ici et là et que l’effet de focus fonctionne.  Puis, le poète (Christian L. Ducharme-Gauthier) prend une autre voix, il y a plusieurs personnages.  J’utilise alors mon looper Roland RC-50 pour échantillonner la section répétitive et pouvoir moi aussi y aller d’un deuxième personnage qui prend la forme de guitare débridée.  Puis des contres-rythmes et une mélodie plus continue s’ajoute.  La musique devient une forme qui évolue avec le poème, elle raconte une histoire.  La finale se construit avec une mélodie ascendante dont la personnalité est de plus en plus affirmée.  Les dissonances en escalade apportent un point dramatique final.

Quelques derniers mots sur les finales, la mémoire a tendance à se rappeler du début et de la fin.  Sentir la fin venir est important et idéalement il y a un reserrement de l’attention mutuelle qui vise ensemble les adaptations de débit pour produire une finale parfaitement synchronisée.  Dans ce cas-ci, la musique avait déjà acquis sa propre logique diffilement altérable, la fin n’est pas parfaitement synchrone mais les deux fins sont logiques entre elles.  Comme en amour toutefois, on ne doit pas définir la qulité d’une relation uniquement par le fait de jouir ensemble au même moment – il y a tout le reste…

 

Quelques réflexions sur l’art de l’improvisation musicale

Il existe plusieurs contextes différents pour l’improvisation: en solo, en solo avec accompagnement préparé, en duo, en groupe, sans style pré-déterminé, dans un style spécifique, à capella, avec des instruments identiques ou apparentés, avec des instruments différents, avec percussions, entièrement avec percussions, avec un rythme prédéterminé, avec un rythme acquis, sans rythme. Je suis certain que cette liste n’est pas exhaustive mais le musicien doit bien comprendre ces contextes et leurs règles spécifiques au départ. Comment ça des règles! Je croyais que l’on parlait d’improvisation…

Prenons un exemple, un guitariste commence à jour une série d’accord qu’il connait bien, deux flûtistes se présentent et commencent à jouer en même temps, l’un est expérimenté et l’autre débutant. Les mélodies se croisent avec plusieurs notes dissonantes produites par le flûtiste débutant qui est tellement heureux d’enfin pouvoir jouer avec d’autres. Il y a plusieurs problème ici, tout d’abord le résultat global sera pénible pour tout auditeur extérieur, ensuite le guitariste va se fatiguer de faire toujours la même chose car au-dessus de sa tessiture, il n’y a qu’un méli-mélo de notes sans intention claire. Est-ce que cela veut dire que pour jouer ensemble il faut tous être du même niveau? Absolument pas, je me rappelle une improvisation que j’ai commencé avec un background tripatif, mes deux amis, un au djembe et l’autre à l’accordéon en Sol ont tout d’abord saisi l’atmosphère qui était créée. Ensuite, l’accordéon en Sol a pu très bien s’intégrer doucement sur le background en Mi mineur. Le djembe a été respectueux de l’ambiance et lorsque l’atmosphère et l’intention était devenu claire, j’ai arrêté le background pour éliminer la compétition entre le rythme pré-enregistré et la percussion live. Nous avons eu une séance magnifique et magique de plus de 15 minutes de bonheur. Les règles qui ont été respectées dans ce scénario sont que les musiciens moins expérimentés ont laissé le plus expérimenté choisir l’intention et l’atmosphère. Ils ont ensuite écouté. Dans ce cas, contrairement au scénario des deux flûtes, il n’y avait pas de compétition pour le même spectre sonore, chacun avait sa place : la guitare, le djembe et l’accordéon occupait chacun leur espace sonore, et ceci permettait d’éliminer la règle qui veut que si une telle compétition existe, il doit y avoir alternance.   Dans le premier scénario, les flûtistes auraient du alterner.

S’il y a une alternance respectueuse, le guitariste acceptera avec bienveillance de servir de cadre à un débutant, il fera un effort pour conserver un rythme clair et éliminer les variations qui feraient perdre pied au débutant. Le flûtiste débutant doit être conscient du nombre de répétition du pattern qu’il s’autorise, s’il n’est pas capable de conter les répétitions, il doit surveiller le guitariste qui donnera un signal clair que l’on passe à autre chose. Ce signal peut être fait instrumentalement ou par un signe extérieur. Lorsque le flûtiste expérimenté commence à jouer, le guitariste doit détecter son intention et modifier son jeu en conséquence pour supporter l’intention. Si le flûtiste commence à jouer rythmiquement, il doit y avoir une réponse rythmique, à tout le moins la courbe énergétique doit être supportée. Il est possible pour le guitariste d’inspirer le flûtiste en proposant des harmonies plus complexes ou en modifiant le niveau d’énergie. La vraie magie opère quand cette décision de courbe énergétique est commune, comme si elle était décidée à l’extérieur du duo.

Le guitariste qui jouait les accords avait-il un style folk, bossa, jazz trad ou musique du monde? Avait-il un style? Ce soir je vais dans un jam de trad irlandais. Ce sera ma première visite à ce groupe qui se rencontre une fois par mois à Val-David au Baril Roulant. Est-ce que j’amène un instrument? Non, j’apporte d’abord mes oreilles. Premièrement, je ne maîtrise pas le style, deuxièmement le contexte irlandais traditionnel est très spécifique, le protocole demande de tout d’abord apprendre les mélodies et accords par soi-même avant de faire des sons. J’apporte mon Olympus LS-10 pour pouvoir pratiquer. Est-ce que c’est un protocole imposé par les autres? Pas du tout, c’est le résultat de l’expérience et du simple bon sens. Tout bon jam commence par la capacité d’écouter. Il sera intéressant d’observer comment cohabitent les débutants avec les instrumentistes plus expérimentés et également d’identifier où se loge l’improvisation dans un style très codifié.

J’espère que ces quelques réflexions vous donnerons envie d’aller improviser avec d’autres.